Peaux

2016-2017
Aquarelle sur papier, 40 x 30 cm

Peaux, pelures, carapaces, coquilles, épluchures…

Epluchures

Nés du hasard de l’épluchage, formant entrelacs de circonstance, se soutenant en une architecture souple, ces menus dépôts témoignent avec exubérance d’une absence, de l’effondrement d'un noyau.

La somptuosité violacée de l’aubergine ou l’éclat mat de l’intérieur de la coquille d’oeuf - si longtemps familière au peintre - finissent par nous faire oublier que ces vestiges ne sont que l’enveloppe de choses comestibles.

L’épluche-légumes est un instrument métaphysique. Il met le chaos à notre portée. Les dieux sont en effet dans la cuisine.

Que nous disent ces déchets formant de fragiles monticules ou d’indescriptibles enchevêtrements? Qu’il  existe une « grande écriture chiffrée » (Novalis²) inscrite dans la peau des choses à manger. Les temps d’intense violence désignent ces amas négligeables comme hautement précieux. Robert Antelme l’écrivait dans le chapitre de son livre relatant son passage au camp de Gandersheim : « l’expérience de celui qui mange les épluchures est une des situations ultimes de résistance »³. Dernier recours de l’espèce humaine qui ne saurait déchoir en deçà d’elle-même, y compris au plus profond de l’humiliation.

A la lumière de ces aquarelles se perçoit l’infini respect que l’on doit aux épluchures.Habituellement, on les délaisse avant de s’en débarrasser tout à fait. Elles sont promises au vide-ordures. Le verbe ouvrant ce mot composé nous expose assurément à un certain vertige. Ces dessins nous y précipitent.

Jérome Duwa, 16-18 décembre 2017

² Les Disciples de Saïs, cité in Jean-Christophe Bailly, La Légende dispersée, Anthologie du romantisme allemand,  Christian Bourgois éditeur, coll. « Détroits », 2001, p.99.
³ R. Antelme, op. cit., p.101

Précédent
Précédent

Petites Choses

Suivant
Suivant

Tessons